Dans notre rue principale, il y a trois instituts minceur les uns après les autres. Je n’ai pas mesuré, mais je crois qu’ils sont situés dans un périmètre de 400 mètres environ. Ce n’est pas anodin. Cela dit quelque chose de notre société, et surtout du rapport des femmes à leur corps. Ce n’est pas seulement une coïncidence commerciale : c’est le signe d’un problème invisible et profond. Avec cet article, j’essaie de le rendre visible.
Chaque fois que je passe devant leurs vitrines, je sens la même pensée revenir : on nous a menti, à nous les femmes. Ou alors, nous nous sommes laissé leurrer, et nous continuons de le faire. Des milliers de femmes croisent ces enseignes chaque jour – en voiture, à vélo, à pied – et, même inconsciemment, elles reçoivent ce message : vous n’êtes pas assez bien comme vous êtes. Et ce message, elles le reçoivent. Cinq sur cinq.
Ce qui me frappe, c’est le caractère pervers de cette mécanique. Car nous, les femmes, avons longtemps été celles qui nourrissent : celles qui font les courses, qui cuisinent, qui posent la nourriture sur la table. Nous avons nourri tout le monde, souvent avant de penser à nous-mêmes. Et quand enfin venait notre tour, nous mangions les restes. Aujourd’hui, nous nous mettons en restriction, « pour notre ligne », pour rester belles, désirables, aimées.
Mais il y a pire. On ne nous a pas seulement oubliées dans la répartition des plats : on ne nous a jamais vraiment appris à nous nourrir. Au contraire. L’exemple est extrême, mais il existe : une amie m’a raconté que sa mère l’avait mise sous amphétamines dès l’âge de deux ans, de peur qu’elle ne devienne grosse. Une autre se souvient de ces phrases lancées à table : « Tu es sûre que tu veux te resservir ? » Qui n’a pas reçu ce type de questions apparemment anodines mais au fond dévastatrices ? Sans parler des remarques des garçons au collège ou lycée, qui marquent au fer rouge.
Et puis il y a le temps. Le temps des femmes aspiré ailleurs, si bien qu’il devient presque impossible de s’accorder une demi-heure de bain chaud, encore moins une activité nourrissante – la marche, la couture, le chant, la danse, peu importe. Tout cela finit relégué au second plan. Se nourrir pour soi, prendre soin de soi, se consacrer du temps, c’était souvent considéré et est toujours aujourd’hui considéré comme égoïste. Ce qu’on nous a inculqué, ce n’est pas seulement des recettes secrètes ou des habitudes : c’est aussi un contrôle, un auto-contrôle, transmis de génération en génération.
Michel Foucault parle de deux formes de pouvoir. Le premier, traditionnel, est visible : le roi, la couronne, les règles écrites, les injonctions claires. Le second, moderne, est insidieux. Il ne s’exhibe pas, il s’intériorise. Il agit à travers nous, par nos pensées et nos comportements. Ce pouvoir-là ne se proclame pas, il s’infiltre. Il fait que nous-mêmes, sans contrainte apparente, nous obéissons aux normes. Les instituts minceur, les remarques à table, les habitudes transmises en silence, les façons de faire ou de penser appartiennent à ce registre. Elles participent à un pouvoir invisible qui guide nos vies sans jamais dire son nom.
Et le constat est cruel : les femmes nourrissent le monde, mais elles-mêmes sont privées de nourriture. Pire, elles se privent volontairement. Dans l’espoir que leur minceur, leur jeunesse, leur beauté, leur conformité, leur temps passé, leur don de soi, leur sacrifice leur vaudront en retour attention, sourire, amour.
Mais cela ne fonctionne pas ainsi.
Elles ne reçoivent pas plus de nourriture parce qu’elles se plient à la norme ou aux exigences.
Elles ne peuvent pas attendre d’être nourries par les autres : elles doivent apprendre à se nourrir elles-mêmes.
Dans le même temps, cette société, elle, a tout intérêt à ce que les femmes restent affamées. Affamées de repos, d’espace, d’énergie, d’élan vital. Car tant qu’elles se privent, elles continuent d’alimenter les autres, gratuitement, docilement.
Il ne s’agit pas ici d’accuser, ni de pointer du doigt. C’est un constat, une réflexion. Mais de ce constat découle une évidence : si nous ne voulons pas perpétuer ce cercle vicieux, nous devons agir.
Il ne suffit pas de dénoncer le patriarcat ou de lutter contre le sexisme visible. C’est nécessaire, mais ce n’est pas tout. Tant que les instituts minceur continueront de fleurir, tant que leurs salles seront pleines, nous aurons beau parler de Femme Sauvage ou de féminin sacré, d’égalité, rien ne changera vraiment. La Femme Sauvage a besoin de liberté, d’espace, de nourriture – réelle et symbolique. Sans cela, elle ne peut pas s’exprimer ni rayonner.
Je crois à une révolution intérieure, aimante :
Se nourrir, dans tous les sens du terme.
Nourrir son corps, son cœur, son âme.
Se donner du repos, du plaisir, du temps.
Se donner de la place.
Et surtout, ne pas laisser les injonctions invisibles dicter nos choix.
La prochaine fois que vous sentez monter le désir de « perdre du poids », arrêtez-vous un instant. Demandez-vous : est-ce réellement ce que je veux ? Ou ai-je, au fond, envie de présence, de complicité, d’attention, d’acceptation, d’amour ? De respect, de tendresse, ou de soutien ou d’encore autre chose ? Peut-être est-ce cela, le véritable manque à combler. Et vous pouvez commencer à vous le donner, sous des formes qui vous sont accessibles au quotidien. Des petits riens, qui, une fois mis bout à bout, feront une vraie différence. La liberté et l’amour de soi se tricotent maille par maille.
J’en conviens : ce n’est pas une voie facile, ni rapide et encore moins confortable. Il faut commencer à se frayer un chemin, à débroussailler, à couper une par une des branches (pensées, façons de faire, habitudes, croyances etc.) plus ou moins épaisses pour dégager la route.
C’est ce travail que je fais avec les femmes formidables et courageuses qui ont choisi une autre voie qu’un énième régime ou l’autosurveillance avec restrictions imposées, ou le sport à outrance, ou tout cela combiné. Qui ont compris que leur appétit n’est pas là pour être contrôlé ou restreint, parce qu’il parle d’envies non honorées dans leur vie. Ces femmes à la fois épuisées par autant d’efforts et affamées pour la vraie vie, qui pressentent qu’une autre voie existe et qui veulent sortir du cercle vicieux pour retrouver leur liberté, leur joie de vie et leur énergie.
Si vous en faites partie, contactez-moi, nous pouvons entreprendre
de débroussailler ensemble VOTRE chemin.
Une femme qui apprend à se nourrir devient
une femme bien nourrie —
et une femme bien nourrie n’est plus facile à manipuler.
PS : Qu’on soit bien claires : il est essentiel de prendre soin de son corps et de sa santé. Mais il faut aussi regarder la réalité en face : l’industrie mondiale de l’amincissement dépasse les 400 milliards de dollars et continue de croître. Elle prospère sur nos insécurités, sur notre faim organisée. Prendre soin de soi, de son corps n’équivaut pas à se restreindre, à se contrôler, à s’affamer. Prendre soin de soi, c’est se nourrir dans tous les sens du terme.

Image 1 : Suzanne et les vieillards par Artemisia Gentileschi
Image 2 : La naissance de Vénus par Boticelli


Très bon article ! Merci ! Même si je suis consciente de la justesse de son contenu nous n’en parlons jamais assez. Il faut le dire et le répéter a nos filles et nos petites filles. J’ai 67ans et 2 petites filles très minces. J’ai moi-même suivi des régimes et subi des périodes de boulimie vers l’âge de 20 ans.
A partir du moment où mon angoisse s’est calmée mon poids s’est stabilisé. J’essaie d’expliquer à mes petites filles qu’il y a de nombreuses possibilités d’être belle et quel que soit son poids mais avant tout il faut être soi. Faire quelque chose que l’on aime. Le maquillage, la coiffure, la lingerie s’est si on en a envie mais pas obligatoire.
Pourtant je dois avouer qu’il m’arrive d’avoir du mal à accepter mon corps vieillissant et de me restreindre pour ne pas prendre trop de ventre.😟 Une piqûre de rappel s’imposait.
Bonne continuation.
Merci beaucoup pour votre retour et votre témoignage !