Vous-vous croyez libérées ? – Les femmes, l’histoire des croyances et l’alimentation

Car bien avant le diktat de la minceur, les pratiques de jeûne représentaient un moyen de contrôle, d'une définition de soi ou d'une révolte acceptable aux yeux de la société pour atteindre la perfection morale et spirituelle. Il y a donc juste un (petit) pas entre l'anorexia mirabilis de Catherine de Sienne et l'anorexia nervosa, les régimes type végan ou les cures de détox des jeunes femmes d'aujourd'hui.

Une des caractéristiques des religions dualistes est la séparation entre le corps et l’âme. Non seulement cette coupure persiste dans les grandes religions monothéistes, mais en plus il y est martelé que l’âme est la création de Dieu tandis que le corps et la matière sont la création du Mal (quel que soit le nom qu’on lui donne). Dans cette vision des choses, l’homme est un champ de bataille permanent entre le bien et le mal, où le corps représente le “mauvais” et l’esprit la pureté ou la supériorité. Cette croyance est la base de la vision assez prononcée  des religions monothéistes que le corps de la femme en particulier est un lieu de péchés, et en tant que tel, il doit être purifié et transcendé par la négation des besoins physiques qu’ils soient alimentaires, sexuels ou autres.

Lesser Poland Catherine Sienne (image wikimedia)

Les idéaux patriarcaux du féminin sacré (saintes, vierges, martyres etc.) sont définis par le domptage du corps et de l’appétit féminin. Pensons à Catherine de Sienne qui vivait uniquement en mangeant l’eucaristie et qui avait également des pratiques pour se faire vomir. Dans son cas, on parle d’anorexia mirabilis, c’est à dire que par miracle elle perdu son appétit.

Quel rapport avec les femmes d’aujourd’hui et  leurs difficultés alimentaires ? Eh bien, beaucoup.  Plus que vous ne pourriez le croire.

Deux mille ans de croyances ont fait d’énormes dégâts et même si les moeurs ont bien changé, leurs effets persistent dans notre quotidien. Car bien avant le diktat de la minceur, les pratiques de jeûne représentaient un moyen de contrôle, d’une définition de soi ou d’une révolte acceptable aux yeux de la société pour atteindre la perfection morale et spirituelle. Il y a donc juste un (petit) pas entre l’anorexia mirabilis de Catherine de Sienne et l’anorexia nervosa, les régimes type végan ou les cures de détox des jeunes femmes d’aujourd’hui. Que cela se manifeste par le contrôle de l’appétit, par le fait de se faire vomir, de faire du sport de manière excessive, par le décompte des calories, ou par la pratique du véganisme, les ressorts profonds sont les mêmes. Les femmes ne se sentent pas parfaites, pas assez valeureuses dans leur état naturel, pas assez spirituelles, il leur faut faire des efforts, dompter la bête qui est à l’intérieur, l’affamer, la soumettre. C’est à ce prix qu’elles pensent atteindre un état spirituel, un statut,  obtenir l’admiration d’autrui ou bien simplement être acceptée.

Même (et surtout ! ) si les filles et les femmes  ne sont pas adeptes d’une religion, le système patriarcal dans lesquelles ces visions se sont développées est encore bien présent, et son héritage plurimillénaire nous affecte dans notre vision du monde, qu’on le veuille ou pas.

[frame linking=”new_window” align=”left” style=”none” shape=”inherit”]”Chaque fois qu’un objet, une personne, un groupe social ou un événement devient un support de projections d’ordre religieux, il y a danger. Leurs caractéristiques réelles disparaissent aux yeux de ceux qui les animent de leurs croyances. Les supports font alors l’objet d’élan religieux imperméables à toute rationalisation, qu’ils s’expriment par la peur, la haine, la diabolisation et la recherche des boucs émissaires, ou par la déification, l’idéalisation et la dévotion inconditionnelle.Olivie Clerc : Médecine, religion et peur : L’influence cachée des croyances

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Selon Michelle Mary Lelwica, ceci explique  le suivi quasi-religieux des régimes, des programmes de sport ou des cures détox. D’ailleurs dans la plupart des cas, les personnes font état de leurs troubles / problèmes avec des termes à connotation religieuse ; et pratiquement à chaque fois on retrouve l’idée de la punition après avoir “péché” par rapport aux idéaux. (alimentaires ou pas)

Venus de Willendorf (image wikimedia)

Comment se fait-il que de l’image du corps féminin qui est créé pour donner la vie, pour la nourrir, pour prendre soin des autres, et qui devrait donc être pleine de vie et de vitalité, nous sommes passés à une image androgyne de la femme, avec un corps d’enfant, mince, fort, sportif et sans attributs féminins ? C’est l’idéal de notre société, que nous voyons selon les statistiques 500 fois par jour au travers des publicités, des magazines, de la télé ou sur les réseaux sociaux. Pour ma part, je crois que les pratiques anciennes de condamner à mort (par le feu) les femmes qui étaient proches de leur corps ou de la nature n’est pas totalement étranger à ce phénomène. Dans son livre Starving for Salvation Lelwica avance l’hypothèse selon laquelle les images patriarcales des péchés féminins (hérétiques, sorcières, païennes et prostituées) relient les femmes tellement à leur corps que la femme en soi devient synonyme des dangers “des envies de la chair”.

Voyez-vous le phénomène ? On donne dans les mots l’égalité aux femmes, en surface on avance, et on laisse le soin à la mode, aux médias qui influencent les femmes de faire le boulot destructeur à la place des bûchers. Plus humain, n’est-ce pas ?

Les femmes tombent la tête en première dans le piège et se soumettent volontiers à des pratiques alimentaire ou sportives qui détruisent en premier lieu leur féminité. (Quelle femme aura envie de faire l’amour après avoir couru 10km, en s’astenant à un régime végan ou en se limitant à 1000 calories par jour ? )

Nous, les femmes, nous avons tellement intériorisé en nous l’image d’une société patriarcale  que nous ne voyons même plus que c’est à travers ce regard que nous nous jugeons et à cause duquel nous nous autodétruisons de notre plein gré, en éprouvant même de la fierté pour notre accomplissement.

Où est donc passée la femme vraie partenaire et égale à l’homme, qui n’est pas son clône en moins bien, mais qui est fière de ses différences et de ses particularités ? Où est la femme libre ?

Tant que nous ne retrouvons pas la liberté au niveau alimentaire, tant que nous jugeons notre corps et nos valeurs à travers le prisme de ces croyances qui font partie de nos sociétés occidentales, nous n’aurons pas la liberté de notre corps, ni celle d’être nous-mêmes, ni le pouvoir de vivre notre propre vie comme nous l’entendons.

Cet article est l’introduction d’une série. Dans le prochain article je vous parlerai de la liberté alimentaire 🙂 Et si vous souhaitez avancer sur le chemin de la libération alimentaire par vous-même, je vous conseille mon livre numérique Le guide pratique du gourmand vers la pleine conscience  .

(Psst : Si vous vous optez pour un abonnement payant à ma newsletter Kessel Faim de Sens, je vous l’offre 🙂 Vous y trouverez des exercices pour nourrir votre indépendance et pour devenir un être conscient et libéré, jusque dans votre assiette. 

Photo Pixabay licence free

Sources :
Yuval Noah Harari : Sapiens: Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015

Michelle Mary Lelwica : Starving for salvation, The spiritual dimensions of eating problems among american girls and women, Oxford University Press, 2002

Olivier Clerc : Médecine, religion et peur : l’influence cachée des croyances, edition numérique

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